Amar Sundy
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

 

Amar, peux-tu me parler de ton enfance et, plus particulièrement de ta découverte de la musique ?
Mon enfance s’est déroulée dans le Sahara algérien puisque je suis issu d’une famille touareg. Je conserve en moi de très belles images de cette période. Je les ai transportées lorsque je suis venu en France en 1963. J’ai continué à grandir en banlieue parisienne, dans les Hauts-de-Seine, pas très loin de La Défense, de Nanterre …

J’ai fait mes études en France et, ayant la maladie du voyage, je suis parti à l’assaut des routes d’Europe. Au bout d’un moment, j’ai ressenti le besoin de retrouver mes racines et le peu de famille qui me reste. J’ai pris mon courage à deux mains et j’y suis retourné.
Une fois sur place j’ai retrouvé pas mal de sensations, d’odeurs, de couleurs…
Ce n’est pas une question d’identité mais plutôt un repère dans le temps et dans la géographie terrestre.

J’ai, alors, vu débarquer un mec avec un bandeau dans les cheveux, un sac à dos et une guitare acoustique en bandoulière.
C’était un français avec lequel j’ai commencé à converser…
Il m’a dit qu’il s’apprêtait à traverser le Niger, le Mali, le Sénégal à pieds. Ce genre d’aventure était encore possible à cette époque…
Pour nous remercier de l’accueil que nous lui avons réservé, il s’est mis à jouer de la guitare. C’était du finger-picking dans un registre assez folk. Cela a été ma première grande rencontre avec la musique, je n’avais jamais entendu quelqu’un en pratiquer de la sorte.

Auparavant quand j’entendais une guitare j’entendais une personne. Avec lui j’avais l’impression d’entendre simultanément 5 ou 6 musiciens différents. C’est à partir de cet instant précis que ma passion est née, c’était en Algérie…

C’est là que tu as commencé à te documenter et à puiser dans les racines de la musique que cette personne t’a permis de découvrir ?
Non, je me suis directement acheté une guitare en rentrant en France. Je me suis dit que j’allais faire pareil. Puis je  me suis rendu compte que ce serait plus long et difficile que je l’imaginais (rires).

Le Blues est arrivé un peu plus tard après avoir découvert, dans un premier temps, Led Zeppelin, Jimi Hendrix etc…
Ce routard rencontré en Algérie avait aussi déclenché en moi l’envie de voyager à travers les sonorités.
Je suis rentré en contact avec le Blues noir en découvrant Albert King, Albert Collins, Elmore James, Sunnyland Slim etc…

Dans cette rencontre avec le Blues, j’ai aussi retrouvé quelques valeurs harmoniques de chez moi. Il était donc naturel que j’opère une sorte de soudure entre ces deux univers musicaux.

Peux-tu revenir sur tes premières armes musicales au sein de groupes ? Ne faisais-tu, alors, que du Blues ou commençais-tu à mêler tes diverses influences ?
Ce n’était pas du Blues mais davantage de la musique inspirée par Neil Young, Hendrix, Led Zep, Santana…
J’étais admiratif de la voix d’Otis Redding et de la Pop anglaise mais, à mes débuts, je faisais aussi beaucoup de Folk.

A partir de quand as-tu commencé à te produire professionnellement sur scène ?
Le démarrage a eu lieu dans le métro « à la rencontre de Sundy » où j’ai fait mes armes en matière de Blues. Après je suis monté au dessus du métro. J’ai donc joué dans la rue, c’était un peu avant les années 1980.
Puis j’ai connu les Clubs  parisiens du quartier des Halles, la rue des Lombards avec le Sunset, le Baiser Salé, le Duc des Lombards.

Il y avait des jams sessions de Blues qui étaient organisées par Patrick Verbeke. Je m’y suis intéressé et, à partir de là, on m’a suggéré de monter mon propre groupe. C’est à partir de ces jams sessions au Baiser Salé que tout a démarré. Trois mois après, je devais m’y produire en vedette. N’ayant pas encore de groupe, je te laisse imaginer le « coup de flip » !

Ton démarrage a été fulgurant puisque peu de temps plus tard, on te voyait déjà partager l’affiche avec des grands noms (BB King, Otis Rush…). Est-ce qu’il arrivait que ces gens viennent vers toi, t’écoutent lorsque tu étais sur scène voire discutent avec toi ?
C’est très simple, mon démarrage avec mon propre groupe au Baiser Salé m’a permis de connaître un petit succès. Cependant, ma préoccupation était de me rendre à Chicago…

C’est donc moi qui suis allé vers eux et non l’inverse. Par la suite, ils m’ont accueilli dans leur univers et permis de travailler, de rester aux USA etc…
De là est née une complicité, une amitié artistique et humaine.

Si tu avais un souvenir de cette époque, quel serait-il ? Y a-t-il eu une attitude ou un geste qui t’a particulièrement touché ?
Quand je jouais avec Albert King, il pensait que j’étais de Chicago et la première phrase qu’il a dit en m’entendant est « Comment ça, tu es de Paris ? You must come from Mississippi ! ».

Cela m’a marqué puisque, non seulement, il m’a accueilli et n’a pas remarqué que je n’étais pas américain mais, en plus, il m’a dit, d’une manière ou d’une autre, que je faisais parti du même paysage que lui. C’est une chose que j’ai retenue et que je n’oublierai jamais…

Tes premiers albums étaient un peu moins orientés « musique algérienne » que le dernier en date (Sadaka, label Dixiefrog). Est-ce parce que tu n’osais pas encore aller aussi loin dans ta démarche ?
Non, il y a un début à tout…
Le début remonte aux années 1990, après ma tournée avec James Cotton aux USA.
Je suis rentré en France où le producteur Jean-Pierre Castelain m’a permis d’enregistrer « Hoggar-Chicago-Paris » qui reflétait mon parcours. S’y trouvait le morceau « Najma » que Jean-Pierre souhaitait car il me permettait d’évoquer mes origines.

Venant de la musique anglo-saxonne, il m’était très compliqué de parler de ce qui se faisait chez moi alors que je n’avais aucune référence et aucune pratique de la chose.
De fil en aiguille, grâce à cette chanson, j’ai commencé à « mélanger davantage » mais ça a pris du temps. Huit ans après est né « Homme Bleu » où il y a vraiment un mariage des deux genres bien que l’ensemble sonne électrique.
Chaque disque a été une étape jusqu’à « Sadaka » qui résume l’aboutissement d’un parcours.

Quelle est ta définition du terme sadaka ?
Pour moi c’est le partage, par définition cela traduit un geste de générosité. Mais le fait de partager est un vrai geste de générosité…

Le partage règne tout au long du disque puisque tu y as invité bon nombre de tes amis. On y retrouve, par exemple, Joe Louis Walker avec lequel on te voit régulièrement. Comment l’as-tu rencontré, peux-tu revenir sur votre amitié ?
J’ai connu Joe Louis en tant qu’artiste comme tout le monde. Il est un musicien majeur dans la lignée de Robert Cray et de tous les grands noms de cette génération.
Je l’ai rencontré alors que j’étais en tournée avec Albert King, Joe Louis faisait alors ses premières parties. Nous avons fini par sympathiser et jouer ensemble. Lui aussi pensait que je venait d’un état américain et a été surpris dès qu’il m’a entendu parler avec mon anglais « épicé » (rires) !

Il m’a demandé comment un mec comme moi qui accompagnait le « maître » qui, de surcroît, disait du bien de moi, pouvait venir d’aussi loin…
Depuis il a du respect pour moi …
Je le considère comme l’un des meilleurs…
Au fil des concerts et des tournées nous nous sommes recroisés assez souvent et avions même, déjà, collaboré ensemble. Nous nous sommes retrouvés sur ce projet d’autant plus facilement qu’il était alors en France (lors de sa tournée en Automne 2008, Joe Louis avait déjà invité Amar sur scène au Nancy Jazz Pulsations, Nda)…

Outre Joe Louis Walker on retrouve sur « Sadaka » Eric Bibb, Pura Fe’, Lisa Doby qui sont des noms qui nous sont familiers. Par contre il y a d’autres invités dont j’aimerais que tu me parles. Notamment Khalil Chahine et Mokhtar Samba qui sont des gens qui me sont, à titre personnel, inconnus…
On peut dire de Khalil Chahine qu’il est le Pat Metheny égyptien. C’est un très grand chef d’orchestre et compositeur qui joue de la guitare et fait beaucoup de musique instrumentale.
Je l’ai connu dans ma « période Baiser Salé » dans les années 80. A ce moment là il faisait beaucoup de fusion, de jazz. Il ne faut pas oublier qu’il sort de Berklee School… c’est un très grand talent.

Il est a moitié égyptien et à moitié américain et nous avons de grandes affinités sur la musique orientale. C’est un ami de longue date qui m’a fait le plaisir d’accepter de participer à ce projet.
Mokhtar Samba est de la même génération, c’est un batteur et un compositeur qui a joué avec les plus grands de Salif Keita à Carlos Santana en passant par Joe Zawinul etc…
Il est un incontournable de l’univers et de la scène parisienne.

Avec ce disque tu vas encore plus loin dans ta démarche de métissage des musiques. Si tu devais, aujourd’hui, qualifier ton style. Quelle en serait la meilleure définition ?
Ce serait, tout simplement, le Sahraoui Blues (le terme sahraoui englobe les touaregs et chez les touaregs les sahraouis sont les personnes sédentaires qui vivent près d’une oasis et doivent « garder l’histoire »). J’ai réussi à unir ces deux univers en un seul. Les précédents albums présentaient deux côtés de ma personnalité qui sont ici réunis en une seule facette.

Comment cette musique est-elle perçue dans cette communauté. As-tu déjà eu l’occasion de t’y produire ?
Je ne comprends pas le mot communauté, je suis plutôt planétaire…
La seule communauté que je connaisse c’est nous, les êtres humains…

Si on parle du nord de l’Afrique, je crois qu’il est un peu trop tôt pour connaître l’effet que cette musique aura là-bas. Je pense que, rythmiquement, il n’y aura pas de problème mais je ne sais pas comment le mélange y sera perçu…
A mon avis, les gens y retrouveront des « épices » qu’ils aimeront bien donc… affaire à suivre !

Ne penses-tu pas être pris au piège de ce Sahraoui Blues, à savoir, d’être catalogué trop Blues pour les amateurs de musiques ethniques et trop orienté World pour les fans de Blues ?
En deux mots, j’en ai strictement rien à foutre de ce que l’on peut penser de moi…
Ce qui est important à mes yeux c’est de prendre une ligne directrice centrale et de puiser dans tout ce qui se trouve à côté, en dessous ou au-dessus de cette ligne. J’utilise tout ce qu'il y a de plus beau sur mon chemin et j’espère être à la hauteur pour retranscrire ce que je ressens alors…

L’important pour moi n’est pas d’être d’un côté ou de l’autre…
Pourquoi aime-t-on la musique ? Pourquoi est-elle universelle, sans frontière, sans passeport ?
Il suffit de la mettre dans un ghetto pour ne plus pouvoir rien en tirer…
C’est une très bonne question que tu me poses…

Si ma musique provoque des interrogations des deux côtés c’est bon signe. Cela veut dire qu’au moins les gens se posent des questions à ce sujet et, donc, qu’ils l’ont écoutée…
Cela laissera, peut-être, la place à une façon de voir les choses…

Maintenant que Sadaka est sorti, quels sont tes projets ?
C’est de défendre ce disque et de l’emmener aussi loin que possible à travers la scène et de communiquer un maximum avec…

Toi qui est tellement ouvert aux autres, as-tu encore des souhaits de rencontres ?
Je ne sais pas…
J’aimerais rencontrer un maximum de gens car cela prouvera que le chemin n’est pas terminé…
Les rencontres sont plus belles quand elles ne sont pas prévues …

Quels sont les artistes de la scène française dont tu te sens le plus proche ?
J’aime tous les gens qui font de la musique…
J’apprécie ce que fait Anis, Mokhtar Samba, Khalile Chahine (rires) !

Je viens de recevoir le dernier album de Lisa Doby que je trouve, sincèrement, merveilleux…
Je l’ai découverte il y a peu de temps et j’ai demandé à ce qu’elle participe à mon album. Elle a un grand talent !

J’aime bien, Alexandre Kinn que j’ai rencontré sur scène et que j’ai hâte de revoir …
Je trouve la scène française très riche. Elle ne demande qu’à exploser !

As-tu une conclusion à ajouter ?
Partageons, partageons et vivons sans oublier que la meilleure façon d’être est de ne pas arrêter de communiquer à travers la musique. N’arrêtons pas cette ouverture !

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Interview réalisée
au Bar du Concorde
Lafayette à Paris
le 10 avril 2009

Propos recueillis
par David BAERST

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